samedi 22 août 2020

J'ai goûté à l'Echappée Belle

Le 22 août 2020 j'ai participé à l'Echappée Belle sur le format "Traversée Nord". Je ne suis pas allé au bout mais j'ai goûté au mythe de cette course, et c'était bien !

Les photos - le film - la trace 

Historique

Depuis longtemps je suis cette course chaque année à travers le prisme Kikouroù, les récits et les suivis live des copains qui s'engagent sur les différents formats de ce trail exceptionnel.

En 2015 je faisais l'une de mes premières sorties montagne avec quelques copains pour accompagner Franck dans la reco du secteur Gleysin - Morétan - Périoule. J'ai alors découvert la difficulté de Belledonne avec tous ces gros cailloux, et aussi sa beauté sauvage.

J'ai vite catalogué cette course comme trop technique et trop dure pour me plaire, que ce soit la Traversée Nord de 87 km et encore plus l'intégrale de 149 km qui est juste un truc surhumain. Puis un jour, il y a deux ans je crois, j'ai regardé la Traversée Nord de plus près en imaginant un roadbook comme si j'allais faire cette course un jour. C'était juste comme ça, pour m'amuser, car je n'envisageais par réellement de la faire pour de vrai.

Et puis il y a cette année 2020, avec son contexte sanitaire qui chamboule tout : mon objectif de juillet annulé, les vacances d'août annulées, l'Echappée Belle maintenue... click


Préparation

Pour une telle course il y a beaucoup de choses à préparer.

Côté entrainement ça manquait sûrement un peu de volume et surtout de montagne, mais finalement entre les Monts du Lyonnais, de nombreuses montées-descentes de Fourvière quand j'étais fixé à Lyon à cause du boulot, une petite virée dans les Bauges, et l'EDF Cenis Tour, j'ai réussi à avoir une condition physique acceptable.

Côté matériel, je m'y suis pris à l'avance puisque l'EDF Cenis Tour m'a servi de répétition. J'avais donc déjà tout préparé début août, même le sac d'allègement dont je ne me suis finalement pas servi sur le Cenis

Côté mental j'ai essayé de travailler sur les abandons passés et de me donner des clés pour m'en sortir en cas de problème... on verra que ça n'a pas suffi.

Côté sommeil, là, on est aussi sur un point faible. Déjà, mon rythme normal c'est de ne pas dormir assez la semaine et de me rattraper avec une bonne nuit le week-end, pas très équilibré mais c'est comme ça. La semaine avant la course j'ai réussi à me coucher un peu moins tard lundi et mardi. Ensuite, mercredi et jeudi, pour nos 20 ans de mariage, nous sommes allés à Disneyland ! C'était top, sauf pour le sommeil. Avec une bonne grasse matinée vendredi je me suis un peu refait mais ça ne m'a pas aidé à m'endormir tôt le soir même. En effet, j'ai dormi sous la tente à Aiguebelle sur la zone d'arrivée, en me couchant à 21h. Mais entre le temps pour m'endormir et les bruits qu'il y a eu toute la nuit, je n'ai pas dormi beaucoup avant que mon réveil sonne à 2h du matin...


Samedi 22/08, Aiguebelle, 2h00

Je me lève sans trop de mal malgré la petite nuit, je me mets en tenue, je me force à manger une tranche de cake aux fruits, et à 3h00 je suis dans la navette qui emmène les coureurs de la troisième vague au départ. Car cette année le départ se fait en cinq vagues d'une centaine de coureurs chacune.

Lorsqu'on arrive au Pleynet on apprend qu'il y a eu un peu de retard au départ des vagues précédentes et que nous partirons donc à 5h10 au lieu de 5h00. Pas de souci, j'en profite pour un petit café et une tranche de marbré.

Dans la zone de départ tout le monde est calme (et masqué), la température est bonne (17°C), le speakeur, taquin, nous colle le générique des Cités d'Or dans la tête, et à 5h11, c'est parti !


Du Pleynet à Gleysin : km 0 à 20, de 5h11 à 9h11

Au départ, je cours... 100 mètres, après ça commence à monter et je passe de suite à la marche, le temps de monter autour du Pleynet, puis ça descend jusqu'au fond de la vallée. J'adopte un petit trot, léger, pour ne surtout pas me fatiguer dès les premiers kilomètres. Ensuite c'est du fond de vallée assez roulant, quoique pas toujours plat, où je fais le yoyo avec trois ou quatre coureurs, me retrouvant même parfois déjà tout seul.

Après 1h15 d'échauffement, on rentre dans le vif du sujet avec la montagne de Tigneux : une longue montée de 835 mD+ jusqu'à la Grande Valloire, où je prend un café au petit poste de ravito, puis un replat ondulé avant les 150 mD+ finaux. Cette première ascension n'était pas très difficile, juste un peu longue, d'autant que garde un pied sur le frein pour m'économiser. Ce faisant je n'ai pas de super sensations en début de course, je ne suis pas sûr d'avoir de bonnes jambes aujourd'hui, donc je redouble de prudence sur le rythme.

Petite déception pour les yeux, le temps est très couvert (avec même quelques gouttes matinales) et les nuages s'accrochent aux montagnes. Bon, ça reste joli quand-même, et le Lac du Léat garde sa beauté et sa bonne ambiance avec des bénévoles au taquet !

Le Lac du Léat

La descente vers Gleysin passe sans histoire, prudemment, et j'arrive au premier ravito après 4h de course, là où je pensais mettre 3h40. Quand je pense qu'à l'origine on devait partir à 6h00 avec une BH à Gleysin à 10h00, j'aurais eu chaud !

J'arrive donc au ravito en 387e position, à 9h11, et j'y resterai 16 minutes, un peu plus que prévu mais j'ai pris le temps d'un bon casse-croûte avec pain, saucisson, fromage et une super soupe. J'ai aussi fait la connaissance du Kéké, qui malheureusement devait abandonner sur l'Intégrale à cause de son ventre.


De Gleysin à Périoule : km 20 à 30, de 9h27 à 13h06

Comme à mon habitude je repars en marchant tranquillement le temps de finir de manger et de remettre de la poudre dans le bidon de gauche. Je me sens mieux qu'en début de course et je suis d'attaque pour le gros monstre du parcours : le Col de Morétan. La bête fait 1400 mD+ pour 6 km de long, avec une première grosse moitié pas trop technique jusqu'au Refuge de l'Oule, et une deuxième moitié raide et de plus en plus caillouteuse jusqu'au col qui culmine à près de 2500 m.

Coup d’œil dans le rétro en montant vers le Refuge de l'Oule

J'arrive tranquillement à l'Oule à 10h45. Comme me l'avait confirmé un bénévole de Gleysin il y a bien un ravitaillement en eau ici, donc je refais le niveau des deux bidons et je repars sans traîner, sous le regard des patous qui sont parqués là avec leur troupeau, les pauvres, on leur pique leur terrain aujourd'hui. Et il est raide le terrain juste après le refuge, puis de plus en plus rocheux lorsque la pente s'adoucit et qu'on commence à passer au-dessus des nuages.

Traverser les nuages jusqu'au col
La partie finale du col est pentue et minérale. Mais dans mes souvenirs d'il y a cinq ans ce n'était qu'un vilain pierrier alors que là, en passant bien à gauche, et même dans les dernières rampes, un semblant de chemin est tracé. Pensant donc n'avoir à faire qu'à des gros cailloux, j'ai rangé les bâtons, mais finalement je les ressors, puis les re-range juste avant de franchir enfin le col à 11h58, sous les encouragements fournis des bénévoles qu'on entend résonner depuis de nombreuses minutes dans la montagne.

Le final du Col de Morétan

Cheminons entre les cailloux du Morétan

Les joyeux bénévoles nous attendent de pied ferme

Joie de franchir ce col mythique

La montée s'est beaucoup mieux passé que prévu, le moral est au beau fixe et il fait enfin beau, le top !
Et comme je connais les lieux, je sais que la descente sur Périoule est à peu près aussi dure que la montée, alors allons-y !

Cette descente de près de 700 mD- se décompose en quatre phases techniques et ludiques :

1) Le névé : quelques dizaines de mètres pentus nous mènent au névé, assez gros cette année, qui est équipé d'une corde pour nous aider à descendre. Sans gants, je préfère ne pas trop m'en servir. Debout je fais quelques figures, donc j'essaye de glisser sur les pieds accroupi, ce n'est guère mieux. Et comme le névé devient un peu plus pentu, j'utilise la corde en la serrant brièvement de temps en temps, car si je la fait glisser dans ma main je vais souffrir. Enfin j'arrive en bas du névé, de retour dans la caillasse.

Le névé

2) La moraine : une petite arête pierreuse, elle aussi équipée d'une corde, et pour cause, elle est hyper pentue. Personnellement je préfère ne pas m'en servir et y aller tranquillement avec les bâtons pour me retenir et ne pas trop taper dans les cuisses. Ca se passe très bien comme ça.

La moraine

3) Le champ de blocs : pour faire le tour du magnifique Lac Morétan Supérieur, il faut passer de bloc en bloc. C'est rigolo, mais il ne faut pas se louper.

Le champ de blocs
Le lac et les blocs

4) Le sentier : à partir du Lac Morétan Inférieur on trouve enfin un vrai sentier qui descend sur Périoule, mais attention, il n'est pas si paisible que ça, il faut toujours rester concentré sur ses poses de pieds.

Périoule

Et enfin, à 13h06, j'arrive en 337e position au ravito de Périoule. Je reste 15 minutes dans ce havre de paix, à manger du saucisson, des patates, du fromage et de la soupe, entre rivière et montagnes, avec un petit bout de tarte au sucre pour finir.

De Périoule à Super Collet : km 30 à 40, de 13h21 à 16h05

 
Comme d'habitude je repars en marchant et en me repoudrant le bidon avant de relancer gentiment l'allure au petit trot en direction du barrage du Carre. Dans mes vieux souvenirs le sentier qui descend à partir de là est un peu technique et piégeux. En réalité il est très technique et piégeux, avec plus de cailloux que dans mon souvenir. Et comme en plus je fais quelques faux-pas (heureusement que mes chevilles sont tolérantes ), ça ne me réjouit pas trop.
 
Le barrage du Carre

Côte du Compas
Pas de drame toutefois, je suis vite en bas à pouvoir dérouler la foulée sur une piste très facile pendant... 500 mètres ! Il faut savoir profiter de ces rares moments de répit, avant de partir à l'assaut de la côte du Compas qui va nous faire monter de 500 mD+, en 2 km sur un chemin pas technique (pour une fois), mais très raide, et réputé très chaud à cette heure de la journée. C'est bien pour ça qu'un petit poste de ravito liquide est posé au pied de la côte. Je refais donc les niveaux en devisant avec le bénévole sur le fait qu'on a une belle après-midi mais que pour le coup j'aurais préféré que le soleil se cache derrière un nuage le temps que je grimpe là-haut. Je profite aussi de cette petite pause pour mettre le MP3 sur les oreilles (que je ne garderai que le temps de cette côte), et c'est parti en mode machine pour une montée régulière et pentue sans réfléchir. Conformément à ce que j'avais lu il fait très chaud dans cette montée, je ne suis donc pas surpris et je ne le vis pas trop mal... mais quelle suée ! 

Bon, ça c'est fait, et je peux alterner marche et trot sur le joli sentier de la Pierre du Carre, qui passe vers le refuge du même nom. Au refuge, des bénévoles font un pointage, et l'un d'eux voit ma casquette - "Ha, un Kikouroù !" - il lit mon pseudo et me dit qu'il a quelque-chose pour moi, ce que je lui avait demandé. Sur le coup je ne vois pas de quoi il parle... mais bon sang mais c'est bien sûr ! Il s'agit de Yienyien73 qui en juillet avait demandé ce qui nous ferait plaisir en passant là, et juste pour la blague j'avais répondu "Un mojito !". Et bien il l'a fait, énorme moment quand il revient avec un petite bouteille contenant le précieux liquide et un grand sourire !

40 minutes sans histoire plus tard, j'arrive à 16h05 à la base de vie de Super Collet, au pied des pistes, en 343e position.

Je suis pile dans le timing de mon roadbook (ça j'aime bien). Je prends à manger et à boire (toujours la même chose, pain saucisson, fromage, soupe, St Yorre) et je vais récupérer mon sac d'allègement pour me poser dans un coin assis sur l'herbe. Tout en mangeant je fais tout ce que j'ai à faire sur ce ravito stratégique en essayant d'être organisé et de ne rien oublier : mettre la montre et le téléphone en charge, quitter chaussures et chaussettes, changer de t-shirt et de short (un peu acrobatique pour rester pudique avec une petite serviette), changer les sparadraps anti-ampoules des talons et des tétons, garnir mes poches avec les barres, gels, compotes et tubes de poudre prévus pour la suite de la course, me crèmer les orteils en prévention... J'ai l'impression ne m'être bien débrouillé pour faire tout ça mais le temps passe à une vitesse folle. Ca va bientôt faire 40 minutes que je suis là et je ne veux pas m'arrêter trop longtemps. Je mets des chaussettes propres, ne change pas de chaussures car je suis encore bien dans mes MT2 (pas de douleur à la malléole comme au Cenis et pas d'ampoule), je remballe tout, vais faire le plein des bidons et repars après 45 minutes de pause, sans être repassé par la case "manger".


De Super Collet à Val Pelouse : km 40 à 57, de 16h50 à 22h59

 
Back on the track sur une large piste de ski parfois assez pentue jusqu'au Col de l'Occiput. Ce n'est pas très intéressant, mais au moins le terrain est facile et ça permet aux jambes engourdies par la longue pause de se remettre dans le jeu. En marchant je réalise que j'ai oublié de laisser mon 3e bidon dans le sac d'allègement. Parce qu'il faut savoir qu'en prévision des longues sections de l'après-midi j'avais prévu un 3e bidon en bas du sac, pour le remplir à Gleysin et à Périoule si jamais je devais tenir jusqu'au ravito suivant sans recharge en eau. Comme finalement il y a plein de petits ravitos intermédiaires ou de ruisseaux pour refaire les niveaux, ce bidon était inutile. Tant pis, ce ne sont pas 82 g de plus qui vont changer grand-chose.
On continue ensuite sur la crête des Plagnes, ça penche moins, c'est assez roulant, mais un peu frustrant car les nuages masquent un paysage qui doit être superbe, dommage.
 
Sur la crête des Plagnes
Puis ça descend, pendant un bon moment, en passant par le Col de Claran, le Refuge de Claran, un tout petit bout montant (ou je rame un peu), le Chalet de la Balme, jusqu'au fond de la vallée où on traverse la rivière à la passerelle du Bens. On est deux ou trois à faire le yoyo sur cette portion, se rapprochant, se doublant ou s'éloignant selon la pente et le style de chacun. Il y a notamment un "grand", qui marche tout le temps, mais qui marche super bien : bien droit, grande jambes, belle utilisation des bâtons. Moi, je préfère descendre en petit trot léger avec bâtons. Au début je le rattrapais quand ça descendait et il repartait quand ça descendait moins ou que ça montait. Puis sur la fin de la descente, j'allais à peu près à la même vitesse que lui, qui marchait, et moi qui trottinait, en descente. Alors j'ai essayé d'imiter son pas pour voir, mais pas longtemps, je préférais mon petit trot. A bien y penser j'aurais vraiment dû marcher dans cette descente. La légèreté de mes foulées me donnait l'impression de ne pas me fatiguer, mais c'est forcément plus traumatisant que la marche à la longue, et en terme d'efficacité j'allais à peine plus vite en trottinant qu'en marchant. D'habitude ce phénomène m'est connu en montée, mais pas en descente... d'où mon erreur.
 
Le Refuge de Claran
Bref, à 18h55, nous arrivons au chalet de Pré Nouveau où je croise Benoît qui va chercher de l'eau à la source. Je savais qu'il serait là, ça fait plaisir de discuter vite fait le temps de remplir mes bidons et de me montrer optimiste pour la suite. Même si je sais que la montée aux Férices ne sera pas de tout repos, je suis encore d'attaque, alors je ne reste pas là et j'y vais.
 
En soi la montée au Refuge des Férice, qui fait moins de 500 mD+, n'est pas très dure, mais à ce stade de la course je commence à être très poussif en montée. Un peu comme sur le trail du Cenis trois semaines plus tôt, je me traine, dès le début de la montée. Un gars me suit (nous l'appellerons Vincent), je lui propose de passer devant car je le ralentis, mais il préfère rester derrière pour s'économiser. Sage décision de sa part mais vraiment, je crois qu'il pouvait facilement aller plus vite que moi. On monte un moment comme ça, puis je finis par le "libérer" à l'occasion d'un arrêt photo que je vais faire durer un peu plus que juste le temps de la photo car j'ai besoin de souffler.

Sous les Férices
A 19h55 j'atteins le Refuge des Férices où un petit ravito est installé. Je fais donc une petite pause fromage puis je repars en marchant doucement et en envoyant un message sur le Whatsapp de la famille (qui me suivent sur Livetrail) pour leur dire que j'ai pris du retard sur mes prévisions et qu'ils ne s'inquiètent donc pas si je suis en retard à Val Pelouse. Je prends aussi le temps de mettre mon coupe-vent. Je ne suis pas très concentré sur ce sentier en balcon, petit répit avant le terrible Col d'Arpingon. Le soleil est déjà en train de se coucher sous le plafond nuageux, alors je fais une jolie photo. Dans l'idéal je voulais voir le coucher de soleil depuis le haut d'Arpingon, mais finalement c'est mieux comme ça puisqu'avec les nuages, je n'aurais rien vu du tout.

20h20, le soleil s'en va
Il est temps de mettre la frontale et de monter au Col d'Arpingon. La pente est souvent rude. Je sais aussi que la montée est irrégulière avec même un petit bout de redescente à un moment qui devrait me soulager.
 
En fait je suis loin du compte. Non seulement les pentes sont rudes en montée, mais en descente aussi. Et il y en a au moins deux des descentes comme ça où on a l'impression de perdre le dénivelé qu'on venait chèrement de gagner, et ça remonte de plus belle, toujours plus haut. C'est infernal et mes neurones se mettent en rideau les uns après les autres on dirait. Par exemple je vois sur ma montre que nous sommes à 2100 m d'altitude, et au lieu de me dire qu'il reste encore près de 200 m à gravir, et donc de prendre mon mal en patience, je commence à me dire que finalement le col est moins haut que prévu... n'importe quoi ! Et quand avec la nuit qui s'est installée (très vite je trouve), je perds mes repères spacio-temporels, je lève les yeux et vois des frontales aussi loin que des étoiles... l'impression qu'il reste encore une énorme montagne à escalader. Entre temps j'avais enlevé mon coupe-vent car en grimpant ça tient chaud. Mais en haut d'une des montées, la petite brise froide dans le dos entraîne une grosse quinte de toux incontrôlable. Je remets le coupe-vent et ça passe. Autant d’uppercuts que se prend mon petit mental avant d'arriver enfin sur le haut de la dernière montée.

Le col n'est pas tout de suite là, d'abord on chemine dans le noir et le brouillard, entre des cailloux et le vide qu'on devine à droite, puis ensuite à gauche. Ca doit être super beau de jour ici, mais là c'est ultra-glauque, limite flippant. Puis, sorti de nulle part, un photographe ! "Viens vers moi, regarde-moi, petit sourire"... FLASH ! Moment totalement irréel au Col d'Arpingon, à 2276 m d'altitude, en pleine nuit à 21h20... oui, j'ai l'impression qu'il fait nuit noire depuis très longtemps.

Je suis allé le chercher loin ce sourire au Col d'Arpingon
Logiquement après un col on redescend. Je sais qu'en fait il faut d'abord passer la Pointe de la Frèche avant d'être vraiment dans la descente. Et là encore, je me fais surprendre par le terrain. C'est très minéral, encore des cailloux. Ca descend d'un coup, puis la remontée vers la Pointe de la Frèche est un vrai mur, pas long, mais qui me touche encore un peu plus le moral.

A 21h45 j'entame enfin la descente vers Val Pelouse. Je pense que je vais pouvoir me relâcher et dérouler un peu... mais non. A chaque fois que je commence à prendre mes aises, il y a un pierrier qui traverse le chemin, c'est infernal. Au bout d'un moment je ne sais même plus si je suis loin du ravito ou pas, je ne fais plus confiance au kilométrage de ma montre et j'ai l'impression d'être sur ce chemin depuis une heure, alors que ça fait à peine une demi-heure en réalité. Le temps et les distances se dilatent et quand je pense qu'après Val Pelouse il reste encore 30 km, avec encore des cols, ça me parait insurmontable. Quand chaque kilomètre est trop long, 30 comme ça c'est beaucoup trop. Et puis je commence à me projeter sur les jours suivants, qui vont être trop durs si je ne vais pas me coucher bientôt... typiquement le genre de pensées que je m'étais juré de ne pas avoir.

Pour me réconforter je sors ma Pompot' préférée de la poche, la pomme-cerise ! Je commence à l'avaler quand, encore une fois, un pierrier traverse sans prévenir. M'en fout, je ne lâcherai pas ma compote pour reprendre mes bâtons en main, je veux finir ma compote (je crois que j'ai régressé à 4 ans d'âge mental à ce moment-là), et bim, je fais un faux-pas et je me couche lamentablement sur le côté avec le coude contre une pierre. Aucun mal de fait au final, mais cette chute ridicule me porte le coup de grâce.

Val Pelouse
A 22h59 j'arrive enfin Val Pelouse en 307e position mais malheureusement je ne pense pas au classement et à la belle course que je fais avec une grosse avance sur les BH. Je sais d'expérience qu'il ne faut pas rendre son dossard en arrivant au ravito où on envisage d'abandonner, pas tout de suite, il faut manger et réfléchir. C'est ce que je vais faire. Et je sais aussi d'expérience (j'ai trop d'expérience en abandon moi...) qu'il ne faut pas abandonner si on n'est pas sûr de pouvoir être rapatrié dans de bonnes conditions. Alors avant d'aller manger, je demande au pointeur comment ça se passe quand on abandonne. Il me dit qu'une navette sera là à 2h, que ça me laisse le temps de réfléchir. Certes. Je vais me poser sur un carton le long du dortoir et je mange en essayant de réfléchir et de répondre aux SMS de Christian et Laurent qui m'encouragent à ne pas bâcher. Sauf que je suis irrécupérable, complètement bloqué sur l'idée que repartir sera une grosse galère insurmontable. Et puis je commence à avoir froid alors j'enfile la sous-couche, la veste et le pantalon.

Sur ce, vers minuit, j'entends qu'une navette peut partir maintenant pour rentrer à Aiguebelle. Là c'est plié, j'officialise mon abandon et sors par la petite porte avec cinq autres coureurs, dont mon Vincent des Férices. On finira à quatre autour de la bière et du diot-polenta servis à Aiguebelle, à se déculpabiliser en se disant que c'était dur et qu'on a quand-même passé une belle journée.
Après une douche froide au gymnase, je vais me coucher sous ma tente, à côté de la zone d'arrivée et de la cloche qui sonne tout le temps (bravo aux finishers qui la secouent !), et malgré ça j'ai bien dormi de 3h00 à 8h30, comme quoi, j'étais fatigué.


Bilan

En ultra il y a beaucoup de paramètres qui rentrent en jeu : physique, mental, gestion logistique et tactique, entre autres.

Physique : pas mal. Plus de montagne et de volume aurait été mieux mais pas mal quand-même. Pas d’ampoules, pas mal aux pieds, pas de souci digestif.

Gestion :
Matériel bien géré.
Alimentation, bien jusqu’à Super Collet et à peine moins bien après, sauf que je n'ai pas assez mangé sur cette base de vie.
J’aurais dû ralentir entre Claran et Férices mais comme je n’allais déjà pas bien vite je ne m’en suis pas rendu compte.
Tenue quand le froid de la nuit arrive : j’ai un peu tardé à remettre le coupe-vent sur Arpingon, et je me demande comment j’aurais dû m’habiller pour avoir ni trop chaud ni trop froid si j’étais reparti de Val Pelouse.

Mental : je suis qui je suis, avec ce blocage quand ça sent la galère à venir, je n’ai pas cette capacité à lâcher prise. Ca ne me plait pas mais pour l'instant c'est comme ça. Avant, j’ai bien accepté la lenteur et les efforts, et j’ai repoussé un peu plus loin les limites de ma patience, mais dès que je décroche un peu, et que je m’éloigne un peu de mes prévisions, je déraille et ne peux plus rétablir. Il faudrait que j’accepte de reconnaitre quand ça va moins bien pour passer en mode gestion de crise, alors que là comme j’étais super positif pendant longtemps, j’ai fait comme si ça devait continuer comme ça, j'ai voulu rester sur mon rythme, jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour changer d’état d’esprit.
 
 
Le positif c'est que j'ai passé une super journée, et que j'ai franchi les plus gros obstacles de la course avec plus de facilité que j'imaginais. Physiquement j'étais pas mal, et techniquement bien plus à l'aise que prévu, avec une grosse utilisation des bâtons, que je n'ai plus lâchés à partir de Périoule.
Mais...
J'ai une nouvelle fois abandonné sur un ultra en montagne, alors que j'avais largement les moyens de le finir. Lorsque mon cerveau et son satané instinct de préservation a décidé que ça suffisait je n'ai rien pu faire, bloqué sur l'idée que la fin était insurmontable. Pourtant j'avais essayé de me préparer mentalement à surmonter les difficultés. J'avais plein d'outils pour passer les mauvais moments (musique, gourmandises dans les poches, profil pour voir que ce que je trouvais insurmontable ne l’était pas, de quoi me changer, soutiens que j’aurais pu appeler au tel, du temps pour me reposer...) mais quand le cerveau a décidé qu’il ne fallait pas continuer, il refuse de penser à se servir de ces outils qui pourraient me faire continuer. Je crois qu'arrivé à un certain stade de fatigue et de perte de lucidité je me mets inconsciemment en "mode sécurité" et j'oublie tout du pourquoi je suis là et pourquoi je devrais aller au bout.


Maintenant, j'ai entrepris une auto-analyse psychologique de ma pratique, avec le soutien et les retours de copains expérimentés, je sais que j'en sortirai plus fort. Merci à eux. Au final, soit je parviendrai à finir les beaux ultras dont je rêve, soit je resterai sur des formats à la journée pour prendre un max de plaisir, je ne sais pas encore, mais il n'en ressortira que du plaisir de toute façon parce que le trail doit rester un loisir épanouissant.






 

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